Qu’est-ce que la dissociation ? Comprendre ce mécanisme de survie psychique et social

Qu’est-ce que la dissociation ?

Le grand gel intérieur

Il y a des douleurs qu’on sent qu’on voit, qu’on vit et il y en a d’autres qu’on ne perçoit même plus. J’ai souvent rencontré des personnes pour qui tout va bien en apparence, ils avancent dans une vie « normale » avec un masque du sourire, mais au fond, je sais que quelque chose est éteint. Les êtres authentiques et éveillés sont rayonnants, ils irradient de joie et de puissance d’être. Et, il y a ces personnes souriantes, mais distantes, on sent qu’elles sont « loin ». Une distance au monde, une froideur avec soi, une impossibilité d’être en présence. Une déconnexion entre son esprit et son corps. C’est de la dissociation. Un mot qu’on entend peu au repas de famille ou aux soirées avec les amis, c’est pourtant l’un des mécanismes de survie les plus fréquents et les moins reconnus de notre époque.
La dissociation est un phénomène à la fois psychologique, neurologique, corporel et social, c’est le prix à payer pour continuer à fonctionner dans notre monde déchiré et en effondrement. La dissociation concerne des millions de personnes sans qu’elles le sachent. Et des millions de personnes forment une société. Nous vivons dans une société dissociée avec des millions de dissociés. Les conséquences individuelles et collectives sont énormes. Cet article s’inscrit dans le volet « tout ce que j’aurais aimé savoir », c’est une exploration rigoureuse, incarnée et engagée de ce qu’est la dissociation, pourquoi elle survient, comment elle agit et surtout comment on peut en guérir.

Définition de la dissociation

La dissociation est un mécanisme de défense du système nerveux face à un stress extrême ou prolongé. Lorsqu’une situation est perçue comme trop intense, trop dangereuse ou impossible à fuir, le corps entre en mode survie. Les réponses classiques de « fuite » ou « combat » ne suffisent pas parfois, il reste une option archaïque qui vient des tréfonds de notre espèce : le figement, l’état de sidération, la déconnexion. C’est ce que Stephen Porges, créateur de la théorie polyvagale, décrit comme l’activation du nerf vague dorsal, responsable d’un état de repli extrême. Dans ce processus, l’esprit se sépare du corps ou certaines parties de la conscience se déconnectent pour ne pas ressentir l’intensité de ce qui se passe. Le sujet n’est pas présent à lui-même. Il est « fonctionnel », mais absent. On dirait un « robot » sauf que la personne n’a pas retrouvé ses liens, car il y a une rupture permanente avec le corps, avec les autres, avec le monde. Les représentations sont brouillées. Peter Levine, fondateur du Somatic Experiencing, raconte que « la dissociation est ce qui nous permet de survivre à l’insurvivable ». C’est une forme d’arrêt d’urgence du vivant. Je dirais que la dissociation sépare l’esprit du corps comme si on n’était plus qu’une boîte de chair et d’os, un corps mécanique qui est « là ». La coupure est forte entre la raison et l’émotion, entre le rationnel et l’irrationnel, entre le conscient et l’inconscient, entre l’humain et le vivant.

Que se passe-t-il quand on est dissocié ?

Quand on est dissocié, le monde devient flou. On peut :

·        Agir mécaniquement, sans implication

·        Ne plus ressentir les émotions

·        Ne plus sentir son corps (ou des zones précises)

·        Se sentir comme un spectateur de sa propre vie

·        Agir dans sa vie de manière fonctionnelle

·        Perte de mémoire (trous noirs, oublis fréquents)

·        Impression d’être « à côté de soi »

·        Déréalisation (le monde semble irréel)

·        Dépersonnalisation (le corps semble étranger)

·        Anesthésie émotionnelle (plus rien ne touche vraiment)

·        Hypersensibilité ou absence de sensation

·        Difficulté à se concentrer ou à prendre des décisions

·        Perte d’élan vital

·        Conduites d’évitement (addictions, isolement, hyperactivité)


Les mécanismes de déconnexion neurobiologiques sont activés, certaines zones du cerveau comme le cortex préfrontal ou l’hippocampe sont sous-activées tandis que l’amygdale (centre de la peur) peut rester en alerte chronique. Il n’y a pas de repos. Résultat : on vit « hors de soi » dans un état de flottement ou d’absence, tout en conservant une apparence normale.

Selon Bessel van der Kolk, la dissociation est la conséquence d’un traumatisme non digéré. Il n’y a pas que les traumatismes considérés comme violent (agression sexuelle, accident, survivant d’une catastrophe naturelle ou industrielle, etc.) qui provoque de la dissociation, il y a aussi les traumatismes plus invisibles (négligence émotionnelle d’un parent, remarque désobligeante d’un prof, responsabilité précoce, etc.). Le corps, encore lui, se souvient parfaitement de l’état de figement au moment de la situation quand l’esprit, lui, se coupe carrément ! Cet automatisme de survie passe souvent inaperçu. Dans notre société, il est plus facile de connaître la marque d’une chaussure que de repérer un ami, un collègue, un membre de sa famille dissocié. Parce que l’absence est devenue la norme. Et que l’armure émotionnelle, elle, est devenue un costume de réussite.

Symptômes courants de la dissociation

Voici quelques signes fréquents :

  • Perte de mémoire (trous noirs, oublis fréquents)

  • Impression d’être « à côté de soi »

  • Déréalisation (le monde semble irréel)

  • Dépersonnalisation (le corps semble étranger)

  • Anesthésie émotionnelle (plus rien ne touche vraiment)

  • Hypersensibilité ou absence de sensation

  • Difficulté à se concentrer ou à prendre des décisions

  • Perte d’élan vital

  • Conduites d’évitement (addictions, isolement, hyperactivité)

On peut aussi retrouver ces symptômes avec ceux de la dépression, de l’anxiété, du TDAH ou d’un burn-out, mais leur racine est souvent traumatique et dissociative.

Pourquoi est-ce difficile à repérer ?

Parce que la dissociation est invisible, silencieuse et souvent normalisée. Ce n’est pas écrit sur le front de la personne « coucou, je suis dissocié ». Une personne dissociée peut avoir une vie sociale active, un travail, un partenaire amoureux, des enfants, une famille ! Elle peut « gérer » son quotidien sauf que tout est éteint, c’est fonctionnel. Elle ne se sent pas vivante. Beaucoup de personnes dissociées ne savent pas qu’elles le sont, car elles n’ont jamais connu autre chose. Ce gel intérieur est leur normalité. Elle peut même porter un masque, un faux self, pour paraître plus joyeuse, plus vivante, plus comme les « autres », car elle sent au fond d’eux même un décalage. Souvent, la personnalité de la personne peut se confondre avec son masque, il y a fusion entre l’individu et son jeu pour paraître. Le faux self et la dissociation s’imbriquent parfaitement. On agit, réussit, fonctionne, parfois brillamment, mais sans contact avec le vrai soi. C’est un moi de façade, souvent performant, mais vide à l’intérieur. Donald Winnicott, le psychanalyste britannique qui a conceptualisé le faux self, explique que celui-ci se développe quand le vrai self n’a pas pu se déployer en sécurité. Résultat : adaptation extrême, anesthésie émotionnelle, dissociation… et grande solitude intérieure.

Par ailleurs, notre culture consumériste et productiviste valorise ceux qui ne ressentent pas trop, ceux qui « gardent leur sang-froid », ceux qui ne se laissent pas submerger par les émotions ou le stress. Notre société adore les robots, elle en redemande. Parfois, les symptômes de la dissociation - qui sont la conséquence d’un traumatisme non intégré - sont confondus avec des qualités. Certaines sont même valorisées : le calme glacial, le sang-froid inhumain, le contrôle total. On ne les appelle pas blessures, on les appelle performances. Maintenant que vous avez lu ces lignes, posez-vous la question : combien d’hommes politiques nous parlent chaque jour avec des voix déconnectées, des corps absents, des âmes dissociées ? Et surtout : combien d’entre nous les écoutent en miroir, sans plus rien ressentir ?

Lien entre dissociation et enfance

La grande majorité des processus dissociatifs prennent racine dans l’enfance. Lorsque l’enfant ne peut pas s’exprimer, être entendu, consolé, sécurisé, il dissocie. C’est une stratégie de survie face à l’impuissance et à l’absence de soutien affectif.

Les causes peuvent être multiples :

  • Parents émotionnellement indisponibles ou hostiles

  • Violences physiques, psychologiques, sexuelles

  • Négligence affective

  • Ambiances imprévisibles ou froides

  • Responsabilisation précoce

  • Incohérences ou doubles contraintes constantes

Alice Miller, dans « C’est pour ton bien », parle de la dissociation comme un refuge intérieur de l’enfant qui n’a pas le droit d’exister tel qu’il est. Quand le lien d’attachement est insécurisant, l’enfant apprend à se couper de ses ressentis. Il devient « adapté », « sage », « invisible ». Ce mécanisme, utile dans l’enfance, devient un handicap relationnel et émotionnel à l’âge adulte.

Une société dissociée

Et si notre société entière, moderne, occidentale, industrielle était elle-même dissociée ? Et si ce que nous appelons « progrès », « normalité » ou « modernité » n’était que la façade d’un gigantesque mécanisme de survie collectif, une réponse traumatique à des siècles de violences, de ruptures et de pertes non intégrées ?

Depuis combien de temps l’Europe est-elle en guerre ? Depuis les guerres de religion, les croisades, les chasses aux sorcières, la colonisation, les deux guerres mondiales, les guerres d’indépendance, les violences politiques, les génocides, les famines, les déplacements forcés. Chaque siècle a vu des millions de corps brisés, de familles dévastées, de psychés éclatées.

Combien de générations ont été marquées par les abus, les violences domestiques, les humiliations institutionnelles, la honte sociale ? Combien de traumas transgénérationnels n’ont jamais été reconnus, jamais guéris ? Selon Fabian Scheidler « La fin de la mégamachine », nous vivons dans un monstre systémique, un hybride militaro-industriel-religieux-commercial qui dévore le vivant depuis plus de 500 ans. Ce monstre, cette mégamachine, est violent, insensible, déconnecté. Autrement dit : dissocié.

Même la philosophie politique dominante, le libéralisme, est née dans un champ de ruines : une Europe dévastée par les guerres de religion, incapable de retrouver du lien communautaire, qui a dû bâtir son ordre sur le plus petit dénominateur commun : le contrat marchand entre individus séparés. Une vision du monde désenchantée, désensibilisée, coupée du sacré, du corps et du lien.

Notre culture porte l’héritage d’une éducation à l’insensibilité. L’héritage des armées, des écoles d’élite, des bureaucraties glacées. Une culture du contrôle, du silence, de la dureté. Une fabrique de soldats, même en temps de paix.

Nous avons bâti des cités d’insensibilité : villes de béton, d’acier, de verre, sans nature, sans lien organique, sans communauté. Des chefs-d’œuvre de coupure. Une société où il faut se dissocier pour survivre. Car vivre dans un monde fait de néons, d’écrans, de productivité chronométrée, sans forêt, sans village, sans tendresse, sans toucher… un être sain ne le pourrait plus. Comme le dit le psychologue Craig Chalquist : « Nous sommes une culture traumatisée qui continue de produire du traumatisme. »

La dissociation n'est pas seulement devenue un facteur sociétal, elle s’est institutionnalisée :
• École qui coupe les enfants de leur corps et de leurs émotions
• Monde du travail qui valorise la déconnexion, la suradaptation et l’hypercontrôle
• Médias qui noient l’attention dans la distraction, le choc et le zapping permanent
• Politique déconnectée du vivant, du ressenti collectif et de la sagesse du corps
• Écologie réduite à des chiffres et des courbes, sans contact avec la beauté ni le deuil de la perte
• Drogues banalisées (légales ou non), utilisées pour fuir la douleur de ne plus sentir
• Violences systémiques normalisées, où les traumatismes se recyclent de génération en génération
• Spiritualité désincarnée, qui promet l’éveil sans traverser la boue du corps et des blessures
• Injustices sociales normalisées

Comment guérir une dissociation ?

Il ne s’agit pas de « se forcer à ressentir » ni de « revivre » le traumatisme. Guérir la dissociation passe par recréer un lien de sécurité entre le corps et l’esprit.

Cela implique :

  • Des pratiques somatiques lentes et contenantes : respiration consciente, TRE (Tension & Trauma Releasing Exercises), Somatic Experiencing

  • Un cadre thérapeutique sécurisant, basé sur l’écoute, la régulation et la présence (thérapie sensorimotrice, IFS, hypnose humaniste, constellations systémiques)

  • Une reconnexion progressive aux sensations corporelles (scan corporel, automassage, mouvement libre, danse)

  • Des relations sécures qui permettent de vivre l’émotion sans être jugé ni envahi

  • Du temps, de la patience et du respect du rythme intérieur

Comme le rappelle Deb Dana : « On ne peut pas forcer un système nerveux à se sentir en sécurité. On peut seulement l’inviter. »

Se réapproprier

Guérir la dissociation, ce n’est pas seulement « aller mieux ». C’est se réapproprier. C’est retrouver un contact sensible avec soi, avec l’autre, avec le monde. C’est permettre au corps de redevenir un lieu habitable.

C’est aussi, profondément, un acte politique : refuser de fonctionner sans ressentir, refuser d’obéir à une société qui anesthésie, qui maltraite, refuser de continuer à vivre séparé du vivant, refuser de vivre loin de son feu intérieur pour rayonner ses propres talents et dons au service de soi, des autres et du vivant.

Revenir de la dissociation, c’est reprendre sa place dans le monde. Entière, présente, vivante.

Pour aller plus loin :

Dr Adrien Biassin

Thérapeute, docteur, chercheur, enseignant, conférencier, auteur, écoaventurier, multi-créateur, poète de l'âme.

ABONNEZ-VOUS A MA NEWSLETTER

Dr Adrien Biassin
n° de SIREN: 853945491

Suivez-moi

Newsletter

Abonnez-bous et recevez des nouvelles quotidiennement

Créé avec © systeme.io